Le dilemme des données dans l’éducation
Presque toutes les activités scolaires sont touchées par la numérisation, qui entraîne un gigantesque volume de données : malédiction ou bénédiction pour le système éducatif ?
Dorothee Brovelli, vice-rectrice Recherche et développement à la Haute école pédagogique de Lucerne, n’est pas à court d’idées pour des applications passionnantes qui profiteraient d’une vaste base de données : « Nous pourrions mieux comprendre ce qui aide les élèves à apprendre ou même prédire leurs succès en appariant la réussite scolaire à des facteurs tels que le comportement, l’environnement et les innovations pédagogiques », explique-t-elle lors de la première réunion du Programme national de recherche « Transformation numérique » PNR 77. « Les données d’une école dont les élèves ont un taux de réussite particulièrement élevé pourraient nous aider à comprendre les clés du succès. » En tant que chercheuse, Dorothee Brovelli considère que des sources de données nouvelles et plus larges sont essentielles pour optimiser l’éducation à tous les niveaux. En même temps, elle a conscience de l’importance qu’il faut accorder à un traitement circonspect des données.
Un grand volume de données produit davantage de corrélations, mais qui dit que celles-ci renferment une relation de cause à effet ? La qualité des données est-elle assurée ? Suivant l’instance qui collecte les données ou les met à disposition, il n’est pas toujours possible d’exclure un redoutable biais de sélection. Et enfin : comment les scientifiques remontent-ils aux nouvelles sources de données et comment y ont-ils accès ?
Andreas Klausing, membre de la direction d’Educa, agence spécialisée pour l’espace numérique suisse de formation, est également d’avis que la question de l’accès aux données est capitale. Le mandat d’Educa comprend la mise en place d’un programme visant à développer une politique d’utilisation des données à l’échelle suisse. « Qui décide de l’accès aux données ou de leur divulgation ? Les intérêts de la recherche l’emportent-ils sur les intérêts individuels des élèves, par exemple », demande-t-il. Il s’agit de trouver une manière prudente de traiter les données dans la recherche tout en saisissant leurs opportunités et en utilisant le potentiel qu’offre la numérisation en matière d’éducation. Andreas Klausing estime que cette approche est également importante pour les scientifiques qui mènent des projets ayant trait à la formation, l’apprentissage et le tournant numérique dans le cadre du PNR 77.
La collecte de données et la recherche qu’elles rendent possible ne sont qu’un aspect de la question. L’autre aspect est la façon dont ces nouveaux outils sont utilisés par les enseignant·es. Dorothee Brovelli observe deux attitudes opposées chez ses étudiant·es : d’une part, un scepticisme à l’égard de la collecte de données et un certain malaise à laisser les scientifiques les étudier de trop près étant donné que leur propre performance est alors soudainement sous le feu des projecteurs. De l’avis de D. Brovelli, cette réticence découle du fait que les performances de l’enseignant·e peuvent être mal interprétées si, par exemple, les résultats de leurs élèves étaient médiocres malgré un enseignement de qualité. D’autre part, la chercheuse constate un intérêt croissant des enseignant·es pour les résultats de la recherche et la volonté de les utiliser pour la conception de leurs propres cours. A. Klausing et D. Brovelli s’accordent à dire que si les possibilités offertes par la numérisation sont soigneusement mises en œuvre, elles favoriseront un enseignement davantage fondé sur les preuves dans notre système éducatif.
Projet PNR 77 Utilisation des médias numériques : compétences didactiques des enseignants
Après un démarrage parfois difficile de la phase de recherche en raison de la pandémie, pratiquement tous les projets ont pris de la vitesse et, dans de nombreux cas, ont même produit leurs premiers résultats intermédiaires. C'était le moment de réunir pour la première fois la recherche et la pratique, auxquelles s'adressent les résultats d'un programme national de recherche. Lors de la première réunion du programme, des personnalités du cercle des acteurs ont formulé leurs thèses, leurs questions et leurs attentes vis-à-vis du PNR 77. Les chercheurs ont réfléchi et contredit. En somme, ce fut une journée d'échanges intensifs.